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L’ÉPAVE MYSTÉRIEUSE

les maîtres ; pour état-major, un capitaine de frégate commandant, un lieutenant de vaisseau second, trois enseignes, un commissaire et un docteur. À l’exception du commandant et y compris le second, à bord des avisos, tous les officiers ont leurs chambres autour du carré ; pas grandes, ces chambres, deux mètres en longueur, autant en largeur ; elles contiennent un lit, une commode toilette, une armoire, sur laquelle on range les chaussures ; le bas du lit forme tiroir ; deux ou trois portemanteaux sous un petit rideau ; enfin, une ou deux chaises. On juge que l’espace laissé pour se mouvoir n’est pas considérable. Ces cabines suffisent à des hommes faits pour dormir, s’habiller, écrire, se reposer, cela pendant des années consécutives. Et durant les mauvais temps, l’air respirable arrive uniquement par le carré, dont les panneaux doivent alors rester fermés comme les sabords des cabines, cloués ceux-ci.

Cinq aspirants et un médecin (à un galon, n’ayant pas encore rang d’officier) vivent séparément et ensemble au poste. Chaque soir ils y suspendent leurs hamacs ; car, à moins de remplacer un officier, les aspirants couchent toujours dans des hamacs. Ils serrent leurs effets autour du poste, dans lequel ils font aussi leur toilette. L’espace est bien mesuré et quantité de vieux officiers se demandent comment ils vivaient là autrefois parfaitement insouciants, gais et heureux.

Le temps reste très beau, mais froid, il gèle avec une brise de nord-est, de légers nuages courent sur un fond de ciel bleu pâle ; le navire glisse rapidement, sous son immense voilure qui, jointe à sa coque peinte en blanc, lui donne quelque ressemblance avec un fantastique goéland. Le Goulet est franchi, on reconnaît Ouessant, dont les roches noires et les écueils se dessinent vivement éclairés par un soleil devenu très rouge, qui va disparaître à l’horizon dans l’Atlantique.

La marche de la corvette s’accélère de plus en plus, la brise fraîchit, mais le ciel reste pur, sans lune, avec de belles grosses étoiles, rendues plus éclatantes à cause de la gelée. Minuit pique. « Allons ! crie le quartier-maître, allons ! debout, la bordée de tribord. Allons ! les tribordais, allons ! »

La bordée appelée monte sur le pont. Les lames de l’Atlantique établissent un grand roulis à bord. En prenant son quart, l’enseigne de service regarde la lune qui se lève, entourée d’une auréole blafarde, signe de mauvais temps prochain. L’officier cherche aussi à découvrir les feux de la Caravane, encore en vue ; mais il hausse les épaules et murmure :

« Cela ne sera pas long, et, pour ce que nous en apercevrons, de cette vieille carcasse-là… » Et puis il arpente le pont, le nez dans sa pèlerine, dont il a relevé le capuchon.