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« Écoute, Thomy, lui dit son parrain, écoute bien, je vais mourir très heureux parce que je suis chrétien ; toi aussi, tu as été baptisé, penses-y, change de conduite ; toujours tu as haï et tu t’es révolté, soumets-toi ! Et pour te rendre la tâche plus aisée, avec la permission de la dame, par testament, je t’ai laissé le peu que je possède. Après tes années de service, si tu le veux, tu pourras devenir fermier ; demande alors conseil à la dame et au commandant… Thomy, dès après le naufrage j’avais grande amitié pour toi ; malgré tes mauvaisetés, cette amitié a persisté. N’étais-tu point un orphelin comme moi ? Que de fois on m’a reproché de n’appartenir à personne ! mais ça ne me rendait point haineux… Dieu est bon, pour tous également bon… Ah ! la lune… »

En effet, au sommet de la lande, le paysage s’éclaira subitement ; bientôt la pleine lune énorme se dressa à l’horizon, répandant de tous côtés sa blanche lumière ; mais le bas du sentier et la cahute demeuraient encore dans l’ombre.

Cependant les alentours s’étaient peuplés de paysans, habitants des hameaux voisins : « Ce n’est point tous les jours que l’on a la chance devoir mourir un sorcier. »

Serrés les uns contre les autres, ces gens ne savaient à laquelle entendre, de leur curiosité ou de leur frayeur : la première les poussait à regarder de tous leurs yeux et la seconde leur conseillait de s’enfuir à toutes jambes, car, disaient quelques fortes têtes : « Quéque nous ferions si le berger y jetait un dernier sort à nous ou à nos bêtes ! M. le curé est là, ben sûr ! mais il ne saurait conjurer les sorts, puisqu’il refuse d’y croire. »

Les mains jointes, les yeux fixés sur l’astre levant, Thomas semblait prier, sa figure prenait déjà le ton d’une cire jaune, lorsque ses lèvres remuaient encore ; le prêtre s’agenouilla, les assistants l’imitèrent. « Allez en paix, dit le premier, je vous bénis au nom de notre Sauveur.

— Amen, » répondit le mourant en avançant la main droite vers une croix que lui présentait Mme de Résort. Les deux mains se rencontrèrent sur l’objet sacré. « Merci…, ma… bonne dame, » murmura Thomas dont les traits s’illuminèrent subitement dans un sourire. Et à l’instant même, en montant dans le ciel pur, la lune envoya ses rayons blancs sur la cahute et sur le lit. Alors des lèvres du berger sortit un soupir léger comme celui d’un enfant nouveau-né… Tout était fini… sans spasme et sans agonie.

Interrompant bientôt les prières que chacun répétait mentalement, le chien se mit à hurler, d’une façon lugubre, prolongée. « Il hurle la mort, » murmurèrent les paysans. Tout à coup un énorme san-