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UN FEU DE FORÊT

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Boisvert, après avoir exploré une région de coupe au lac qui porte son nom, est reparti avec Dulac.

Je continue mes promenades. La partie dévastée de la forêt fait peine à voir. Je n’y suis allé qu’une fois.

L’incommensurable tristesse !

Ici, des cadavres de lièvres, figés dans un dernier saut. Plus loin, une biche brûlée. Entre ses pattes, un daim, protégé par le corps de sa mère, n’est mort que plus tard, étouffé. Il tient une mamelle rigide, avec sa petite langue bleue.

Entre deux rochers, un orignal a labouré le sol avec rage. Il est mort debout, son museau entré dans la terre, presque jusqu’aux yeux. A-t-il vu, dans son agonie, la forêt automnale toute parée de pourpre et de premiers givres afin de saluer la période de ses amours ?…

De nombreux oiseaux gisent dans le terroir calciné. Des ailes ? Plus. Seulement des bouts d’os fendillés. Des gouttes de moelle s’y condensent en un dernier effort vers l’espace, la vie.

Cet incendie du lac Clair dévora 200 milles carrés de forêt vierge. Les millions perdus pouvaient alimenter le progrès de trois villes comme Trois-Rivières pendant dix années.