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À LA HACHE

d’bile, vous m’entendez… Les animaux, ça se sauve toujours quand on leur donne une partance… Vite, et je l’dirai pus, au canot…

Que faire ?… Il faut bien partir. Laurence se bat presque avec le forgeron. Il veut rester lui aussi. Mais Boisvert et Dulac s’approchent, méchants. J’entends encore Boisvert rugir :

— Vous, l’vieux, si vous voulez pas cuire comme un cochon d’lait, embarquez… Ou ben, tabarnac ! on va vous attacher et vous fourrer dans l’canot de force…

Les cendres chaudes nous aveuglent. Un grondement sourd sort de la terre. Desrochers et Laurence rament avec force. Je regarde en arrière de moi. Sur la grève, mes trois héros courent, sortent froidement des couvertes, qu’ils trempent dans l’eau, emplissent une vingtaine de chaudières neuves et, face au ciel, fument et attendent. La lueur a changé la nuit en une aurore sinistre. Cailleron est collée contre les hommes. Sa toison a pris une teinte rose. J’entends les chevaux hennir, les deux vaches beuglent, les cochons courent, affolés… Quelle épouvante !…

Le lac rougeoie. Ses vagues ont des soubresauts éperdus. Et toute l’onde furieuse reflète le sang du ciel.

Enfin nous débarquons sur l’île. La famille