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à travers le grönland.

l’espoir de se soutenir, puis tomber dans les bras de son ami Frederick, qui, pour réchauffer son camarade, n’a pas craint de se dépouiller de tous ses vêtements par un froid terrible. Devant une pareille abnégation, l’émotion vous gagne ; et dire que tout ce courage a été dépense en pure perte ! Inutile de parler ici des scènes qui marquèrent la fin de cette expédition. L’alcool affaiblit en abaissant la température du corps et en diminuant les facultés digestives ; il fait en outre perdre l’énergie lorsqu’on est affamé et épuisé. Un explorateur expérimenté des régions arctiques, Jules Payer, affirme qu’une petite ration de rhum est nécessaire aux expéditions en traîneau, surtout par les basses températures. Mais c’est précisément par les temps froids que les spiritueux sont préjudiciables à la santé.

Beaucoup de personnes pensent que les boissons alcooliques peuvent rendre des services comme médicaments. C’est également une erreur ; qu’on me cite un cas où leur emploi ait eu un résultat efficace ! Tant qu’on ne m’aura pas fourni cette preuve, je serai d’avis de ne jamais emporter d’alcool dans les expéditions arctiques[1].

L’usage du tabac en voyage est beaucoup moins préjudiciable que celui des boissons fortes ; cependant, lui aussi exerce une influence fâcheuse sur l’organisme lorsque les hommes sont soumis à de dures fatigues et n’ont point une nourriture abondante. Il détermine notamment des troubles digestifs et affaiblit le corps et l’esprit. Si l’on veut interdire complètement l’usage du tabac aux membres de l’expédition, on ne doit pas oublier que la plupart des hommes ont une telle habitude de cet excitant qu’ils ne peuvent s’en passer. Par suite, pour ménager une transition, il est nécessaire de restreindre peu à peu l’emploi du tabac. Un chef d’expédition ne doit pas pour ce motif engager de fumeurs endurcis. Quatre de mes compagnons fumaient ; seuls le vieux Ravna et moi n’avions point cette habitude. Notre provision de tabac était très petite, et pen-

  1. M. Sophus Torup, professeur de physiologie, m’a signalé d’intéressantes expériences, faites sur les soldats anglais. Il s’agissait de parcourir une distance dans le moins de temps possible. À quelques militaires on remit diverses quantités de cognac, à d’autres simplement de l’eau. Toujours les premiers arrivés furent ceux qui avaient absorbé la moindre quantité d’alcool.