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dans l’austmannadal.

verdoyante. Là nous chargeons les traîneaux de nos bagages et les faisons glisser sur le sol. Nous avançons ainsi rapidement, lorsque soudain se présente un obstacle imprévu. Il nous faut traverser la rivière, et depuis notre dernier passage elle est devenue très grosse ; c’est maintenant presque un fleuve. Le passage doit être exécuté ici, car au delà le torrent est large, la base d’escarpements inaccessible, et d’autre part sur la rive droite se trouve la tente laissée par Nansen. Au gué, la rivière mesure une largeur de 100 alen, et nous devons la traverser trois fois, deux voyages étant nécessaires pour transporter tous nos bagages. Les Lapons conservèrent leurs vêtements pour se prémunir contre le froid de l’eau, Kristiansen et moi enlevâmes au contraire nos pantalons et nos bas, afin d’avoir des vêtements secs à nous mettre sur le corps après ce bain. Nous gardâmes aux pieds nos chaussures, pour ne pas nous blesser contre les pierres tranchantes du lit. Le courant était de foudre, et pour ne pas être entraînés, nous dûmes assurer nos pas avec nos bâtons. Chargés comme nous étions, si le pied nous avait manqué, nous aurions été infailliblement entraînés par le torrent. Inutile de dire qu’il ne fut pas précisément agréable de parcourir 300 à 400 alen dans une eau glaciale. Après avoir traversé le torrent, Kristiansen et moi avions les jambes littéralement bleues, mais après nous être frictionnés et après avoir mis des bas secs, la chaleur nous revint vite. Avec leurs vêtements mouillés, les Lapons souffrirent naturellement beaucoup plus que nous.

« Ce même jour, la caravane atteignit, avec une première charge de bagages, l’extrémité supérieure de l’Ameralikfjord. Le lendemain elle apporta le restant de l’équipement.

« Nous passâmes aussitôt en revue nos provisions, écrit Dietrichson. De pemmican nous en avions pour quelque temps, mais il ne nous restait du pain que pour six jours et de la soupe aux légumes pour cinq. De plus la provision d’aliments gras et de sel était épuisée.

« D’un moment à l’autre pouvaient nous arriver des nouvelles de Nansen et de Sverdrup. En descendant la vallée nous avions même le fol espoir de trouver un canot nous attendant dans l’Ameralikfjord. Nous n’avions aucune raison d’être inquiets du sort de nos deux camarades, mais nous étions décidés à gagner par terre Godthaab