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navigation en bachot.

tout ce que nous avons avant d’arriver à une localité civilisée, où tout cela n’aura ensuite aucune valeur. Nous ne voulons rien perdre. Le repas achevé, nous nous étendons sur les rochers et rêvons aux étoiles.

Le voyage est maintenant terminé ; nous avons rencontré en route bien des difficultés, mais nous les avons toutes vaincues ; nous avons traversé la banquise, puis l’inlandsis, et avons réussi à atteindre une localité habitée, dans un misérable bachot que nous avons construit nous-mêmes.

Nous nous roulons dans nos pæsks et nous endormons ensuite d’un profond sommeil, le meilleur que nous ayons eu depuis longtemps. C’est la dernière nuit que nous passons à la belle étoile.

Le lendemain 3 octobre, nous nous réveillons tard ; nous mangeons un plantureux déjeuner, puis reprenons place dans notre bachot. Quelques heures plus tard nous passons devant un promontoire situé au sud de Godthaab, sur lequel nous apercevons plusieurs huttes grönlandaises et une grande maison. C’était Ny Hernhut (la Nouvelle Maison du Seigneur), une des stations établies par les Frères Moraves au Grönland.

Tout à coup le vent se lève droit debout ; immédiatement nous prenons le parti d’atterrir et de gagner Godthaab par terre. Dès que nous touchons la plage, une foule d’indigènes, composée principalement de vieilles femmes, accourt au-devant de nous. C’est le même spectacle que celui dont nous avons été témoins sur la côte orientale. Tout ce monde crie, gesticule, et nous donne une impression de saleté. Les indigènes nous aident à transporter nos bagages et à tirer à terre le canot ; tout en se livrant à ce travail, ils manifestent par la plus expressive pantomime leur étonnement de nous voir arriver dans une pareille embarcation. Nous ne nous occupions guère de cette foule, dont nous ne comprenions pas les interpellations, lorsque se présente à nous un jeune homme qui n’a pas du tout l’air d’un Eskimo. Do you speak English ? nous dit-il. L’accent était danois et je me demandais si je n’allais pas lui répondre en anglais, lorsqu’il ajouta : Are you Englishmen ? « Non, nous sommes Norvégiens, repartis-je en norvégien. — Puis-je savoir votre nom ? demanda alors notre interlocuteur. — Je suis Nansen et nous venons «