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a travers le grönland.

qu’il soit là et je le rappelle dans la tente : maintenant le bonhomme ne veut plus quitter sa place.

Après le souper les fumeurs bourrent leurs pipes de mousses ou d’herbes sèches et dégustent ce tabac d’un nouveau genre autour du feu de bivouac. Comme dans la chanson, nous sommes tout à la joie, heureux d’avoir accompli la traversée du Grönland.

La nuit est magnifique et la température douce. Nous restons longtemps autour de notre brasier avant de songer à aller dormir. Sverdrup affirme n’avoir jamais passé une soirée aussi agréable ; plusieurs d’entre nous partagent, j’en suis sûr, son opinion.

Couché dans l’herbe je m’amuse à observer la physionomie de Ravna. Le bonhomme, jusque-là toujours grognon, a une mine souriante. « Que penses-tu de ce pays ? lui demandai-je. — Ma foi, je viendrais volontiers m’y établir avec mon troupeau de rennes, mais le voyage est trop coûteux pour moi, répondit-il. — Peut-être le gouvernement danois ou bien celui de Norvège te transporterait ici gratis, répliquai-je. — Avant de me décider, je réfléchirais », dit-il. Après tout, ne se trouverait-il pas bien ici : partout il y a de bons pâturages pour son troupeau ; le renne sauvage n’est pas rare non plus dans la contrée et bientôt Ravna deviendrait riche. Il serait seulement difficile de se procurer du combustible pour l’hiver, et encore ne pourrait-il faire-une provision de tourbe comme plusieurs Lapons établis sur une île de la côte de Finmark. « La côte occidentale me plaît beaucoup, dit en terminant Ravna, c’est un bon pays pour un vieux Lapon, on y trouve beaucoup de rennes sauvages, et la contrée ressemble au Finmark. »

Le lendemain 25, nous poursuivons notre route à travers la vallée. A l’extrémité du Langvand, pendant une halte, nous apercevons au loin un lièvre ; nous le voyons courir pendant quelques instants, puis aller se gîter sous un escarpement rocheux. En me dissimulant derrière de grosses pierres je réussis à m’en approcher, et à une distance de plusieurs centaines d’alen je l’étends raide d’une balle. Les autres poussent un vigoureux hourra, tout joyeux à la pensée de manger ce soir de la viande fraîche.

Après cela nous continuons la marche à travers la vallée. En