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les relèvent sur le front à l’aide d’un ruban de verroterie, et les laissent pendre par derrière sur les épaules. La perle même de quelques cheveux est considérée comme un présage de mauvais augure. Ceux qui ne possèdent pas un cordon de ce genre ont la chevelure coupée à hauteur des yeux tout autour de la tête ; en guise de ciseaux, ils se servent d’une dent de squale, le fer ne devant jamais, dans leurs croyances, loucher les cheveux. Si un homme a eu les cheveux coupés dans son enfance, il doit continuer à les porter ainsi toute sa vie. Les femmes ont la chevelure réunie au sommet de la tête en une touffe qui doit être aussi droite que possible. Cette coiffure les rend chauves de bonne heure.

Dans la lente où nous nous trouvions, les femmes étaient beaucoup moins laides que les hommes. Ces derniers étaient presque tous imberbes, un seul avait une petite barbiche.

Nous étions depuis quelque temps occupés à nous livrer à une pantomime animée, lorsqu’un indigène sortit, puis rentra bientôt après avec une large courroie en peau de phoque. S’étant assis sur le lit, il la déroule, puis, prenant un couteau, en coupe plusieurs morceaux qu’il offre successivement à chacun de nous. Quelques indigènes imitent son exemple, et bientôt nous sommes tous propriétaires de quatre ou cinq solides courroies. Pauvres gens, ils nous donnaient ce qu’ils possédaient de mieux, dans la pensée de nous être utiles. Je m’attendais à ce que les indigènes nous demandassent à leur tour quelque chose en échange de leurs bons proçédés. Je ne me trompais pas. Celui qui nous avait donné la première courroie sortit et revint bientôt avec un objet auquel il paraissait attacher une très grande valeur. C’est un vieux fusil rouillé d’un modèle plus qu’archaïque, semblable à ceux dont font usage les Grönlandais de la côte occidentale. Le bonhomme, très fier de posséder une pareille arme, nous la montrait avec une satisfaction visible ; pour lui faire plaisir, nous témoignâmes la plus vive admiration. L’heureux propriétaire nous fit alors comprendre qu’il n’avait pas de munitions et qu’il en désirait. Je fis d’abord mine de ne pas saisir sa demande, mais devant son insistance je dus changer de système et tâchai de lui expliquer que nous ne pouvions le satisfaire. Le pauvre homme fit alors une mine toute déconfite, et remporta son fusil.