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en route vers la côte orientale du grönland.

position ; nous nous trouvons par 64° 59’ de latitude nord et 39° 15’ de longitude ouest. Nous apercevons les montagnes riveraines du Sermilikfjord et, depuis Pikiudtlek jusqu’à Inigsalik, la rondeur de l’inlandsis ; on dirait une immense mer blanche. Aucun nunatak[1] n’est en vue. Sur les bords de l’immense glacier paraissent quelques rochers (près de Pikiudtlek se trouve le nunatak le plus saillant).

« Cette région a un caractère tout différent de celle située plus au nord. Du côté de Sermilik et d’Angmagsalik s’élèvent, à pic au-dessus de la mer, de hautes montagnes sauvages, finement découpées en aiguilles, et par derrière cette rangée de pics, dont la sublime beauté captive l’œil, s’étend la plaine unie de l’inlandsis. Le glacier n’a pas détruit les lignes hardies des montagnes et ne les a pas recouvertes de son manteau uniforme. Devant nous, au contraire, la terre est basse ; l’inlandsis, ayant pu s’étendre jusqu’à la mer, a poli et arrondi les quelques rochers qui font saillie sur la côte. La puissante masse déglacé a tout submergé ; le paysage est sauvage, mais uniforme ; nulle part une silhouette hardie.

« La terre est trop éloignée pour que nous puissions l’atteindre. Quelle malechance d’avoir approché si près du but et ensuite dérivé si loin en mer.

« La glace présente quelques ouvertures ; immédiatement nous mettons à l’eau une embarcation : mais c’est en vain que nous essayons d’avancer. L’épaisse bouillie de neige et de glace flottant à la surface de l’eau arrête les canots lourdement chargés. D’autre part, les glaçons sont trop dispersés, pour que nous puissions haler les traîneaux et les embarcations. On entend le ressac, et la houle secoue toujours la mer et la banquise. »

Depuis que nous avons quitté le Jason, c’est le premier jour où nous pouvons songer à autre chose qu’à travailler pour sauver notre vie, ou à dormir pour réparer nos forces. En conséquence, nous commençons notre journal météorologique. Les observations ont été presque toujours faites par Dietrichson, même dans les circonstances les plus difficiles, avec un soin auquel je me plais à rendre hommage. Notre camarade notait la température de l’air, la pression

  1. Monticule rocheux isolé au milieu de l’inlandsis. (Note du traducteur.)