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à travers le grönland.

Quand nous n’étions pas encore couchés à minuit, nous restions debout jusque vers quatre heures, pour prendre part au premier déjeuner. À cette heure-là le café était servi à l’équipage ; jamais Balto ne manquait de se lever pour aller boire sa tasse. Comme tous les Lapons, il aimait beaucoup le café et jamais ne laissait échapper l’occasion d’en boire.

Notre bibliothèque n’était pas très riche. Un de nos amis, M. Cammermeyer, l’éditeur de Kristiania, nous avait donne quelques livres, mais nous les eûmes bientôt lus. Nous demandâmes alors aux matelots les feuilletons qu’ils possédaient ; quand nous les eûmes terminés, nous allâmes emprunter sur les autres bâtiments les quelques livres qui s’y trouvaient.

La monotonie de notre vie était seulement interrompue par les visites que nous faisaient de temps à autre les capitaines des autres navires, et celles que nous leur rendions. Spectacle curieux que de voir tous ces marins groupés sur le pont, au soleil, buvant et fumant au milieu de cette mer couverte de glaces étincelantes.

Une de nos distractions était de tirer à la cible sur les glaçons.

Ravna seul ne s’accommodait guère de la vie du bord. Habitué à errer sur les montagnes avec son troupeau de rennes, il se trouvait à l’étroit sur le navire et désirait fouler la terre ferme. Balto s’accommodait au contraire très bien de cette existence ; toujours gai et plein d’entrain, il était devenu le favori de l’équipage. Sa jambe était maintenant complètement remise.

Tout le monde à bord prenait le plus grand soin de notre poney, même trop grand soin, car à chaque instant on lui donnait un peu de foin et il arriva bientôt que la provision fut épuisée. Nous lui donnâmes alors de la viande fraîche de phoque, puis, quand il en fut fatigué et n’en voulut plus, de la viande séchée. Au bout de quelques jours il refusa cette alimentation ; on lui présenta ensuite des guillemots, puis du goémon. Parmi ces herbes marines, il recherchait particulièrement une espèce de fucus. Nous parvînmes ainsi à conserver pendant quelque temps ce brave petit animal. Le 9 juillet, n’ayant plus rien à lui donner à manger, il fallut se résoudre à l’abattre. Le seul service qu’il nous rendit fut de nous donner une bonne pro-