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924 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

teurs, les vrais chefs, bien que fortement soutenus par les croyances collectives, ont su parfois s'en dégager pour prendre un contact direct avec le Fait, chercher dans la nature même les forces et les résistances, et dresser contre elles leur propre énergie.

Le même écrivain, dans La Mort de la Terre, nous montre les derniers hommes périssant non par le froid, mais par l'affreuse sécheresse, tandis que s'annonce à leur place le règne des Ferro-magnétaux. Ces monstres minéraux nous intéresse- raient autant que firent jadis les Xipéhuz, s'il ne leur manquait la mobilité, la volonté agressive, capables d'engager l'homme à des stratagèmes nouveaux. Dans sa préface, Rosny se défend avec courtoisie d'avoir été le précurseur de Wells, et cherche dans le contenu de ses inventions, les différences qui le distin- guent de l'écrivain anglais. Sans peine on en trouverait d'autres. Si Wells l'emporte, me semble-t-il, par la logique et par l'humour, l'intelligence de Rosny s'accompagne d'une plus large sympathie. Tous deux d'ailleurs, à force de voyager à travers l'espace et le temps, à force d'imaginer des êtres et des sociétés irréels mais vraisemblables, ont acquis ce qu'on pourrait appeler le sens des possibilités cosmiques ; et ce tour d'esprit se marque jusque dans leurs romans modernes. Ni négateurs ni sceptiques, prenant l'existence au sérieux, ils ne raillent point l'efibrt que font les hommes pour organiser leur vie collective. Mais ils savent qu'une forme organique ne peut manquer de changer, à mesure que se modifient les éléments qu'elle tient assemblés ; ils sentent, et nous font sentir, le caractère relatif de nos lois, de nos croyances, de nos mœurs. Cette façon de grave ironie risque d'affoler tous ceux qui sont prêts à douter de l'ordre, dès qu'ils ne le croient pas immuable. Mais elle corrige heureusement le dogmatisme de tels politiques ou moralistes qui érigent en lois éternelles les conditions d'un équilibre passager.

M. A.

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