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SEPT HOMMES 85 1

cadavres, d'horribles écorchés, de restes à demi rongés où grouillait le peuple des bêtes immondes. Et le charnier s'étendait à perte de vue, au fond des vallées, sur les col- lines, au milieu des routes...

Les uns après les autres, je perds des parents : mon père, ma mère, mon fils aîné, ma soeur. Et les lugubres veillées, et les obits épaississent périodiquement l'atmos- phère de mort où s'écoule ma vie. Puis, je pense aux trépassés, je me demande où ils en sont : dans leurs grands tombeaux, au tréfonds de leurs hermétiques cercueils, ils doivent mettre longtemps, beaucoup d'années, ils doivent passer par de bien hideux états pour aboutir au jovial, à l'immuable squelette ! Où en est l'oncle Hugues, à pré- sent ? Que reste-t-il de nez à ma chère sœur ?

Hélas, l'homme disparaît tout entier. Avec moi, s'en ira le souvenir des morts que j'aimais. Il n'en subsistera que des papiers, des diplômes, des titres, qui pourront amuser le paléographe, plus tard, sans rien ranimer de ceux dont ils proviennent.

Quelquefois, j'ai voulu descendre dans le caveau que distinguent nos seules armoiries et ouvrir les cercueils qu'il recèle... Mais je surmonte ces fugaces prurits ; je ne suis ni un fou, ni un malade, et quand ils me taquinent, je vais boire de l'absinthe, comme un voyou, à la terrasse des cafés.

Je ne sais qu'une mort qui ne me trouble pas et dont je ne me préoccupe jamais : la mienne. Il faut que je fasse eflfort pour diriger mon esprit vers cet inéluctable terme. Et j'affirme qu'il sera le bienvenu. Seule, la mort m'em- pêchera de rêver de la mort. Seule, elle me délivrera de l'obsession dont elle charge mes épaules. Macabre

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