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834 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Je me présentais au seuil du Paradis artificiel vaine- ment cherché par le poète. Ce qu'il poursuivait dans le vin, dans l'opium, dans l'excitation des vices et des passions, je l'avais trouvé par l'étude du plus subtil de moi-même. Il m'appartenait de pénétrer dans cet éden. Quelques jours encore, et ce Fou qui somnolerait dans le cabanon d'une maison de santé, ce Fou sur la destinée duquel pleurnicheraient tant d'amis, ce Fou égalerait le Dieu des religions. Car je ne doutais point que ma Volonté, s'affran- chissant du lien fragile qui la retenait encore au monde physique, ne sût échapper à la mort.

Quelques jours encore, et ce Fou mangerait les fruits de l'arbre de Vie, et rêverait, rêverait son idéal, rêverait pour l'éternité.

Mais dans un instant de lucidité, — le dernier qui me restait, peut-être, — mes pensées, vagues et molles, se tournèrent vers mes parents. Mon père et ma mère, pauvres vieillards, vivaient encore. A grand'peine, j'ima- ginai leur douleur devant la folie, l'idiotie de leur unique enfant.

Cela ne se pouvait pas. Cette idée, — la dernière aussi, sans doute, que je devais recevoir du monde extérieur, — s'empara de moi, secoua un peu mon engourdissement ; et, comme un noyé vers qui vient à son secours, je me tendis vers elle, m'y attachai, m'y cramponnai avec désespoir.

— Je ne veux pas, je ne veux pas ! répétai-je tout un jour à mon domestique terrifié par la loque gémissante et douloureuse que j'étais. Et je me roulais sur le sol, et je sanglotais. Enfin, il comprit, il devina mon appel.

— Pour pas devenir fou. . . pas devenir fou ! lui criais-je.

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