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824 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

rencontre. Mais un matin, à mon départ, le grotesque, pour ainsi dire magnétique, d'un couple qui s'avançait, bras dessus, bras dessous, me contraignit d'arrêter mon cheval et de crier un : "oh ! " de moquerie implacable. Imaginez deux petits bourgeois, deux employés, le mari et la femme, appuyés l'un à l'autre par leurs bras enlacés, les jambes et les épaules écartées de leur centre de gravité commun ! Tous deux blonds et lymphatiques, gros, mous, proprement habillés. Pour que ma haine n'hésitât pas sur un choix, ils étaient du même âge, trente ans environ, et se ressemblaient ! Des teints blêmes, des gros yeux bleus sortis de la tête, des pieds en dedans, et un hoche- ment, à chaque pas, de leurs caboches stupides qui tremblaient comme des boules de gélatine ! Ils marchaient vite et balançaient deux parapluies symétriques. Ah, qu'ils la représentaient bien, cette sale engeance d'em- ployés, de petits bureaucrates, dévoués, bornés, serviles, calamiteux ! On les devinait si naturellement, arqués sur de grands registres ou après à nettoyer, les mains en de vieux gants, le ruban violet de leur machine à écrire ! Sottise, médiocrité, cupidité, contentement de soi, écono- mie, ponctualité, tous les bas instincts, toutes les fausses vertus, tous les vices de leur catégorie sociale éclataient sur ces deux êtres accolés qui descendaient l'avenue en grand'hâte, essoufflés, aiguillonnés par la crainte d'un retard. J'éprouvais, à regarder cet X humain, le serrement de cœur, l'envie de tout casser, le désir de hurler des gros mots et de faire du mal qu'inspire la vue d'une physiono- mie imbécile, d'une caserne géométrique, d'une belle écriture, d'une épitaphe avec : " bon père et bon époux " — la vue du banal et du régulier !

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