494 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
attachait pour toujours à l'œuvre de Hugo on ne sait quelle protestation inconsciente, héréditaire, de toute critique. Désor- mais un génie critique, en même temps qu'il se connaissait comme relevant de Sainte-Beuve, considérait en partie, plus ou moins, comme son impossibilité et son contraire, quelque chose de Victor Hugo. Celui-ci cessa d'avoir contre lui les critiques, les pamphlétaires, nommément. Il eut contre lui la Critique, en tant que genre, qu'abstraction, que génie. Ceci est un fait capital qu'il n'y eut pas de critique romantique, que le roman- tisme (rappelez-vous Les Grotesques de Gautier, et William Shakespeare, et Paul de Saint-Victor, et Jules Janin, et Mendès) fut l'anticritique, et la critique, pour être anti-romantique, n'eut pas besoin de combattre le romantisme : elle n'eut, avec Sainte-Beuve, qu'à être. La littérature classique, fondée par des esprits critiques, appuyée sur Malherbe et Boileau, n'avait au contraire jamais cessé d'être une critique, de penser de façon critique, et c'est dans le génie critique de Voltaire qu'elle avait trouvé son achèvement, fait son inventaire et son testament. Toute poussée de criticisme (et nous le voyons bien aujourd'hui) va contre le romantisme. Dans les Trois Idées Politiques qui ap- paraissent comme le Discours sur la Méthode du traditionalisme actuel, M. Charles Maurras a jeté sur Sainte-Beuve et Pempirisme organisateur le regard que devait à l'auteur des Lundis l'adver- saire méthodique du romantisme. Il y a là un état de choses organique, qui durera autant que la littérature française. Et comme toute poésie néo-classique paraît condamnée à l'avorte- ment, peut-être les noms de Victor Hugo et de Sainte-Beuve demeureront-ils jusqu'à la fin les deux colonnes symboliques d'Hercule, sur deux rivages disjoints qui ne se réuniront jamais. Peut-être la rupture de la poésie et de la critique est-elle un fait irrévocable, un de ceux qui nous aident à comprendre le malaise actuel, un de ceux qui, aux heures, les plus rares possibles, de pessimisme, nous font mal augurer de demain.
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