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LES ROMANS 359

dite. Elle ne suggère pas d'inconnu, elle ne réserve pas de mys- tère; pourtant elle suit l'apparence des choses d'un trait si sensible et si souple qu'elle semble les contenir et ne point les limiter ; elle accompagne le train de la vie d'une marche égale et si fidèle que nous lui supposons volontiers autant d'haleine et de ressource qu'à la vie même. Wells, dans sa peinture, ne fait pas de faux frais. Tous ses traits portent. Ils n'ont pas seulement la justesse, ils ont aussi l'efficacité. Son réalisme est chargé de cette dose d'esprit qui aiguise l'accent de la vérité. Et son défaut serait la sécheresse, si l'humour ne mettait dans son style une étrange animation.

Cet humour de Wells, je ne sais comment le définir. Rien de plus mesuré, de plus subtil. Ce n'est pas l'indiscrète grimace d'un auteur au milieu de son récit, l'amusement d'un intermède, la recherche d'un effet, ni la chiquenaude au pantin qui s'allait faire prendre au sérieux. L'humour de Wells n'isole pas le lecteur du drame et de ses personnages, sous prétexte de l'échauf- fer au cours d'une péripétie languissante ; il l'en rapproche au contraire, par une sorte d'invitation familière et plus pressante. C'est une disposition plus libre du conteur, une gaité de l'esprit qui comprend, qui jouit du monde et de ses créatures avec amitié. C'est quelque chose de sain, d'allègre et d'alerte, et d'un peu brutal ; c'est un mouvement, une accélération du sang. C'est aussi une certaine façon de n'être point dupe, par élégance foncière ; de dominer son émotion sans l'amoindrir, de lui tirer un accent qu'elle n'aurait pas d'elle-même, — et cela ni par affectation, ni par sécheresse, mais par plénitude, par exubérance, par jeu, par sérénité.

Jacques Copeau.

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