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294 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

que le canon. Malgré moi je pensai : " Si telles sont les manifestations de leur plaisir, quelles doivent-être celles de leur douleur ou de leur déception ? " Et simultanément avec la production de ce bruit unique, l'expression des figures changea. Les yeux brillèrent, les dents s'avancèrent en des sourires énormes et involontaires. Une satisfaction féroce dut se donner carrière en gesticulations féroces, infligées aussi bien au bois mort, qu'aux tissus vivants du prochain. Le bruit des battements de mains, doux et poli, n'était qu'une légère écume sur la houle d'applaudisse- ment qui grondait dans tous les cœurs. On aurait pu aussi bien croire que cette armée de quinze mille hommes venait d'être sauvée de la mort, ou venait d'apprendre que ses enfants avaient été arrachés à la destruction et ses femmes au déshonneur ; on aurait pu aussi bien croire qu'ils venaient d'échapper à la ruine, à la famine, à la prison, à la torture ; on aurait pu aussi bien croire qu'ils récompensaient par leur adoration passionnée une bande de héros nationaux. Mais il n'en était rien. Ce qui s'était passé, c'était tout simplement que le ballon avait roulé dans le filet de but des Pirates de Manchester. Knype était à jeu. La réputation des Cinq Villes devant l'opinion éclairée et capable de distinguer entre le football de pre- mier ordre et le foolball de second ordre, était gardée intacte. J'entendais autour de moi des spécialistes qui prouvaient que, bien que Knype eût encore cinq matches de Ligue à jouer, sa situation n'était pas compromise. Ils désignaient avec agitation un énorme panneau dressé à un bout du terrain et sur lequel apparaissaient les noms d'autres clubs avec des chiffres qui changeaient de temps en temps. Parmi ces clubs étaient ceux contre lesquels

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