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RÉFLEXIONS SUR LE ROMAN 227

sur la chute de Napoléon, et ne lui trouve que cette explication amplement développée : Cet homme gênait Dieu ! — nous ne reconnaissons là que du bavardage et du bruit, c'est la forme vide du mystère. Guerre et Paix ne nous présente pas d'explication. Mais par la lenteur de la narration, par ses tours et ses retours, par son fractionnement en épisodes, il nous fait présentes et sensibles les forces de résistance passive qui usent et détruisent Napoléon. Ce génie oriental de patience et de durée que Tolstoï incarne dans Kutusof, il le développe, lui aussi, dans son roman même, et il nous oblige à l'incarner en lui. Napoléon qui s'étonne de ne pas recevoir à Moscou les proposi- tions de paix d'Alexandre, et qui s'imagine que la guerre russe, comme un siège de Louis XIV, comme les campagnes de Prusse et d'Autriche, sera réglée régulièrement en cinq actes prévus (marche sur la capitale, grande bataille, entrée dans la capi- tale, traité de paix, rentrée dans Paris par les Champs Elysées), — lui que le silence d'Alexandre scandalise, c'est le romancier français demandant à Guerre et Paix nos qualités classiques. Alexandre V et Tolstoï, comment eussent-ils renoncé à ces deux trésors de la force russe, l'espace et la durée ? Nous sommes ici au cœur même de la vérité litté- raire : un écrivain dont l'art est consubstantiel à son sujet et dont le sujet est consubstantiel à sa race.

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