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lyS LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

nouveau monde ! Pourquoi se forcerait-il ? Il va, il vient, il se baisse, il se relève ; il bat l'air de ses bras ; il s'amuse à suivre avec ses pas toutes ces petites notes qui descendent ; il touche la mélodie avec les mains ; elle passe en lui, elle monte en faisant des spirales qui s'échappent enfin par le bout de ses doigts ; il court après elle, quand elle le laisse, il la reprend comme on joue avec un animal. Il passe d'un point à un autre, non pas comme vous, comme moi, au hasard, mais son mouvement le porte comme un ange lent ; il y a une mesure qui le saisit au milieu de son bond qu'elle prolonge. Il n'a plus besoin de sa force, car toutes les facilités de son corps cessent d'être captives, et, pareilles à des esprits délivrés, volent en lui ; et il se sent comme aéré par l'agitation de leurs ailes.

Et moi, il me laisse ; il m'interdit de le suivre ; il voyage sur un chemin qu'il détruit à mesure qu'il y passe : il va le long d'un fil mystérieux qui se fait invisible derrière lui ; avec ce geste d'écarter, avec ces mains qu'il promène en l'air, avec ce corps qui tourne doucement et mille fois, il a l'air d'un magicien occupé à effacer sa trace ; nous ne le saisirons pas ; nous n'arriverons pas à le tenir, à lui appuyer les bras contre les hanches pour le regarder à loisir, de haut en bas. Il nous enchante, il nous déroute, il emmène notre attention avec ses mains, il est toujours comme à un tournant et nous suivons son sourire comme un oiseau. Il cède devant nous, il faiblit ', il s'en va d'une fuite si captieuse qu'elle paraît sans cesse sur le point d'être vaincue ; il nous séduit d'une espérance si proche que nous n'en remarquons pas la perpétuelle déception et, tant nous nous attendons à les captiver enfin, nous oublions à mesure tous les mouvements qu'il fait. — C'est pourquoi le désir ne nous quitte plus de revoir sa danse, de suivre à nouveau cette

' La figure de la Cueilleuse-de-fleurs qui chante S'eJ^ace tellement dam l'épais crépuscule

Qu'on ne 'voit plus que ses yeux et sa bouche qui parait violette. Paul Claudel, Tête d'Or, p. 292.

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