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I020 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

carnet fatigué qu'il a la manie de couvrir de notes, illisibles même pour lui. Cette fois il s'est appliqué, il peut lire. 11 lit à haute voix :

"Angelico 1387, Paolo Uccello 1390, Castagno 1397, Masaccio 1401, Filippo Lippi 1405. En vingt ans les voici tous nés. Ils vivent ensemble un demi-siècle. Ensemble ! Ici ! Concevez-vous cela .'*

" Vous connaissez aussi le vertige des dates ? Je ne parle pas de cette succession paisible où l'on voit l'homme engendrer l'homme, le fait déclen- cher le fait qui suivra, pour la plus grande satis- faction de la logique. Mais quand elles se chevau- chent, s'enchevêtrent, se compénètrent ! quand d'un peuple à l'autre elles se répondent — ou d'une tour à l'autre, dans la même cité ! — Il y a deux manières de sentir l'histoire : dans la filiation des âges et dans chaque âge ; dans la suite des êtres ou bien dans leur coexistence ; dans la profondeur du temps ou dans l'étendue de l'espace. Autant la première rassure, autant la seconde affole l'esprit. Mais celle-ci un esprit vivant la préfère. Qui n'a souhaité d'étreindre le monde, ou seulement un pays, une ville, à une certaine minute du temps ^

" C'est le grand moment de Florence... Ose- rons-nous seulement l'évoquer ? N'est-il pas ini- maginable, de trouver, le même matin, chacun sur son tréteau et profitant de la même lumière, dans la même rumeur étouffée par les murs.

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