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992 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

souci que de le connaître. Avec une impatience ravie, je l'attends, je l'interroge, je l'écoute. Cette mauvaise humeur qui me prend, j'en sais le motif ridicule : une petite réflexion la dissiperait à l'instant. Mais justement c'est cette petite réflexion qui est l'obstacle insurmontable ; je la vois comme à travers le brouillard ; mais je ne puis la faire ; j'en suis séparé bien plus profondément que par un abîme. Je suis avec ma mauvaise humeur ; je n'ai plus idée qu'à la voir durer ; je veux savoir ce qu'elle va faire ; j'y assiste comme à un événe- ment de la rue. Je joue tous les actes qu'elle m'inspire, et non sans sincérité ; mais c'est surtout pour ne pas l'arrêter, pour la laisser se développer tout entière, pour lui permettre de dire sur son compte et sur le mien tout ce qu'elle a à dire. Peut-être déjà je me repens, et avant même de les avoir prononcés, des méchants mots qu'elle me dicte ; j'ai pitié, je voudrais demander pardon ; mais je n'arrive pas à désirer que cela finisse.

Chacun de mes sentiments a son indépendance, ses droits contre tous les autres et contre moi- même. Il est un être vivant avec une masse, une résistance, une inertie. Une fois qu'il est né, il faut attendre qu'il meure, il lui faut un certain temps pour disparaître ; je ne le supprimerai pas. Son déplacement en moi, son volume ! Comme une herbe qui pousse rejette délicatement les petites mottes de terre de chaque côté d'elle, il

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