Page:NRF 7.djvu/898

Cette page n’a pas encore été corrigée

892 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

la couleur " et il n'emploiera plus que la merde-d'oye. Cet autre comprend enfin — comment les siècles ne s'en sont-ils pas aperçus ? — que le but des arts plastiques est de représenter une assemblée nombreuse par un seul individu. Et ce troisième a pris la ferme décision de ne plus montrer les objets autrement que dans " les quatre dimensions de l'espace ésotérique. "

Plus leur idée est pauvre, plus ils craignent de la laisser se rencontrer avec d'autres. Il la leur faut pure, c'est-à-dire sotte. Ils évitent soigneusement tout ce qui lui est étranger et qui la nourrirait. Ils vivent dans la terreur de la voir contaminée. Ils s'imaginent que penser c'est savoir reconnaître tout ce qui n'est pas de la même couleur que ce que l'on a une fois conçu, et l'écarter, — que penser c'est s'en tenir à ce que l'on a posé et dépister partout, pour s'en garder, la possibilité d'être démenti. Aussi s'empressent-ils autour de leur idée, comme on les voit, la veille du vernissage, importants, affairés et jaloux, surveiller les copains pendant que le commissionnaire déballe leur informe envoi.

S'ils pouvaient, par quelque miracle, être admis à comprendre ce que c'est que penser ! S'ils pouvaient connaître cette force, cette aisance dans la concession, ce plaisir robuste avec lequel celui qui pense abandonne à son adversaire cette affirmation et cette autre encore, comme le pêcheur fatigue le poisson en lui donnant de la corde ! S'ils pouvaient soupçonner quelle liberté c'est que de penser, et comme il est plaisant d'avouer qu'on a tort, et comme cela est facile et gai, lorsque seulement on tient un peu de vérité !

Encore si de ces misérables principes, dont ils protègent avec un soin ridicule l'éclosion, ils savaient se servir ! Mais non. — Les principes doivent être pour un artiste ce qu'est la méthode pour un savant : un moyen pour atteindre une fin ; il faut les employer pour se conduire, non pour créer, — pour réaliser une invention, pour venir à bout d'un dessein, non pour

�� �