Page:NRF 7.djvu/618

Cette page n’a pas encore été corrigée

6l2 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

à ce climat. Mais pour tous ces terrassiers, qui avaient fait des tranchées et des remblais sur plus de quatre cents kilomètres et jeté bas tant d'obstacles, ce petit village de boue, qui avait pour moi tant de prix, n'était qu'une motte de terre à culbuter après tant d'autres. Que pouvaient-ils comprendre à ce produit des siècles, eux qui se regardaient avec leurs pelles et leurs pioches, comme les missionnaires du progrès ? Que pouvaient-ils aimer dans cette civilisation indigène, dont la plus grande beauté tient peut-être à ce qu'elle a d'immobile et d'éter- nel ? Pour ces palais brûlés par l'absinthe et l'anisette espagnole, quelle saveur pouvait avoir le précieux café maure, le thé parfumé à la menthe ? Pour ces gens habitués aux grandes lumières crues, au dur travail sous le soleil, de quel prix était l'ombre des maisons, des jardins et des ruelles ? et pour leurs grossiers désirs, ces femmes chastement voilées et leurs danses mystérieuses ? Vous imaginez-vous, par exemple, ce que représentaient, pour l'épouse du pharmacien sicilien, ces femmes qui lavaient leur linge avec leurs pieds, qui n'avaient pas le sou et portaient des diadèmes sur la tête comme des princesses de théâtre, qui restaient enfermées chez elles, se rendaient visite au cimetière, pratiquaient une religion sauvage et vivaient à trois ou quatre dans la même maison, épouses d'un même mari ?

Encore s'ils nous étaient venus de l'industrieux Piémont ou de l'active Catalogne ! Mais non, ils nous arrivaient tous des provinces les plus disgraciées de leurs pays, de celles d'oii jamais une pensée intelligente n'est sortie. Sitôt qu'ils avaient pris pied dans l'oasis, acheté un verger, bâti une maison, établi un commerce, ils appelaient leurs

�� �