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cette charmante aisance que, sous les cieux les plus neufs, un Stevenson sait garder. Dans k Reflux^ par exemple, dont l’histoire se passe à Papeete et dans les mers du Sud, il n’y a pas un paysage. Et pourtant nous sommes enveloppés d’une atmosphère inconnue dont la qualité nous est sensible. Il n’y a pas un détail d’exotisme, si ce n’est la mention de certains poissons à bec de perroquet et d’un oiseau de mer avec une plume rouge. Mais les héros de l’aventure pensent et agissent selon le lieu et selon les circonstances. \j3^ justesse du ton est parfaite. Cela suffit. Qu’on pense à l’exotisme d’un Rochegrosse, puis à celui d’un Gauguin. Il y a recherche chez l’un ; chez l’autre adéquation.

Les réflexions générales qu’on vient de lire me furent suggérées, de près ou de loin, par l'invasion. Elles concernent aussi, mais à un moindre degré, l’autre livre de M. Louis Bertrand, Mlle de Jessincourt. Je me hâte d’ajouter que Mlle de Jessincourt me paraît être un roman beaucoup plus cohérent, beaucoup plus abouti que l'invasion, et où les qualités de M. Louis Bertrand — l’égalité du ton, l’exactitude de l’information, la précision des détails et une grande ingéniosité de mise en œuvre — ont trouvé toute leur utilisation. L’ouvrage est écrit, sans défaillance, selon la formule réaliste qui s’assujettit au terre-à-terre quotidien, à l’enchaînement régulier d’une fatalité d’autant plus implacable qu’elle est plus monotone et plus sournoise. Une telle narration suppose, de la part de l’auteur, dans l’entreprise et dans l’exécution, un grand courage, beaucoup de patience et d’abnégation. Il s’agit de suivre, d’un train égal à son cours de plus en plus ralenti, et de mener jusqu’à sa dernière heure l’existence d’une vieille demoiselle de province sevrée de tout bonheur et de toute aventure. Ton sur ton, gris sur gris, la peinture ne vaut que par son achèvement, par la ténacité scrupuleuse de la main qui la modèle. L’artisan d’une telle matière