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434 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

et creusé de petits godets dans lesquels s'amasse l'eau des pluies pour que l'oiseau du ciel y vienne boire ; leurs sabots rejetaient à la banalité d'un terrain vague ces débris de poterie que les Mzabites ont coutume de placer sur les tombes pour symboliser que la vie est une chose fragile et que jamais deux existences ne se ressemblent tout à fait, pas plus que deux tessons ne sont jamais pareils. Ces enfants et ces bêtes et cet accordéon geignard déshono- raient jusqu'au souvenir que j'avais gardé de ce lieu.

Tout à coup, m'étant retourné, j'eus une vision saisis- sante. Le soleil qui se couchait derrière moi éclairait d'une vive lumière la colline sur laquelle étaient posés l'ancien village arabe et la ville du Khalife. Les maisons, les rochers et la colline ne formaient plus à cette heure qu'un bloc d'un rose doré qui se détachait sur un ciel sombre, envahi déjà par la nuit. La falaise où j'étais monté projetait son ombre sur le faubourg italo-espagnol et le noyait dans les ténèbres. Les fumées qui sortaient des toits formaient au-dessus un léger voile d'un gris bleuâtre et laiteux, qui s'arrêtait à peu près à mi-hauteur de la colline et semblait supporter la Ben Nezouh moresque violem- ment éclairée par le soleil couchant. Les rochers déchi- quetés qui la dominaient de leurs masses étranges, bizar- rement sculptées par la pluie, par le vent et par les sables, semblaient aussi faire partie de la ville et l'agrandis- saient sans mesure. Les formes capricieuses qu'avaient prises ces maisons ruinées ajoutaient à l'effet grandiose qu'elles produisaient dans ce crépuscule. La réalité et le rêve, la destruction et la force créatrice, tout concourait à créer, dans ce désert, à cette minute, pour le passant que j'étais, un spectacle de féerie. Ainsi, dans les contes

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