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432 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

tristes peupliers d'Italie allongeaient tout le long des rives leurs ombres rectilignes ; ils faisaient même à la source de l'Oued un véritable bois, où un kiosque à musique couvert d'un toit de zinc jetait des reflets aveuglants. A la place des beaux dattiers, richesse des anciens jardins, on ne voyait plus que des poiriers, des pruniers, des pommiers, tous nos arbres fruitiers d'Europe, poussés là par quel mystère, par quelle volonté tenace ? On eût dit que ces jardiniers courbés sur les carrés de légumes s'ap- pliquaient à tout faire à contre sens de ce que réclamaient la nature et le climat ; on eût dit qu'ils avaient engagé dans ce désert un duel avec les éléments, et que dans ce combat singulier les malheureux triomphaient ! Ces fruits qui poussaient là, je les avais goûtés : le soleil en avait pompé toute l'humidité et le suc. Et pourtant, à la réflexion, ils finissaient par émouvoir, ces produits détesta- bles d'un climat tempéré. Ils représentaient tant de labeur et de soins, tant d'amour du sol natal ! Mais l'admiration ou plutôt la pitié qu'on éprouvait devant ces malheureux arbres se transformait vite en fureur contre la volonté imbécile qui les maintenait là par miracle. Au ras du sol, les plantes maraîchères de nos vergers d'Europe, les hari- cots, les salades, les petits pois étaient d'une belle venue, mais au lieu de l'ancien parfum de menthe et de verdure mouillée, s'exhalait de la terre l'ignoble odeur du purin. Les mille petits canaux, où l'eau coulait sans mystère à travers ce grand potager, reflétaient d'une façon cruelle, dans leur réseau éclatant, l'implacable azur du ciel. Plus de fraîcheur, plus d'ombre ; aucun chant, aucun ramage. Les tourterelles ne faisaient plus entendre leurs roucoulements passionnés, qui dans la poésie arabe sont l'image même du

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