Page:NRF 7.djvu/398

Cette page n’a pas encore été corrigée

392 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

crimes, et nous qui étions autrefois les moins haïs parmi les étrangers, nous serons bientôt les plus détestés.

Tout ce que je vois, tout ce que j'entends ne me donne pas à regretter de m'être réfugié dans le Sud pour échapper à leur vue. Mais c'est en vain que j'ai mis entre eux et moi l'immense étendue des sables : les mille échos du désert m'apportent le bruit de leurs méfaits. Nul pays n'est plus silencieux, nul aussi n'est plus bruyant pour une oreille qui sait entendre. J'interroge la caravane qui passe, le chanteur de complaintes, le bateleur marocain : toutes ces voix me confirment dans mes impressions désenchantées. Parfois l'envie me prend de raconter ce que j'ai vu, ce qui m'est arrivé, et comment ces barbares ont détruit sous mes yeux un des beaux lieux du monde. Mais dans ces déserts où je vis, dans l'existence nomade que je mène, il y a quelque chose de sublime qui exalte et décourage à la fois. La pensée suit le regard, rien n'est là pour l'arrêter, elle se perd dans l'infini ; le cœur aussi se dilate, et dans cet état de rêve tout ce qu'on pourrait dire ou faire semble inutile ou médiocre... Pourtant, mon ami, ces pensées me poursuivent, surtout la nuit, quand on n'entend plus rien autour des tentes que le bruit d'une bête entravée qui s'agite, les bracelets de quelque femme amoureuse ou le léger frôlement des myriades de grains de sable que le vent promène sur la dune. C'est alors que je m'inquiète, que je revois ma vie, que ma passion revient, que je regrette désespérément de n'être pas sorti vainqueur de la lutte que j'avais com- mencée. Puis je m'endors ou bien le jour apparaît : tout s'anime autour de moi ; des centaines de formes blanches sortent des tentes noires ; les prières montent vers le

�� �