Page:NRF 7.djvu/396

Cette page a été validée par deux contributeurs.


LA FÊTE ARABE


C’était dans les premières semaines de la guerre à Tripoli. Tous les journaux illustrés publièrent à ce moment des photographies saisissantes. Sur la plage, dans les ruelles, au fond des cours, près des mosquées, le long des routes, dans la palmeraie, partout des cadavres étendus, partout des burnous entassés comme des sacs de farine qu’on va charger sur des charrettes. Je me rappelle encore des femmes fugitives ramenées dans la ville par les Bersagliers ; toutes, vieilles et jeunes, se tenaient enlacées ; des enfants nus, en grappes, s’accrochaient à leurs robes, — pauvre et faible troupeau qui s’enveloppait de voiles pour ne pas voir les corps qui bordaient le chemin. Un grand soleil tombait sur tout cela, une poussière dorée enveloppait dans sa brume les soldats et les femmes, les mousselines et les baïonnettes ; et rien, pas même ces burnous devenus des linceuls, ne donnait plus l’impression du carnage que cette grâce orientale épouvantée…

Eh ! quoi, direz-vous, c’est la guerre. Va-t-on encore gémir et nous apitoyer !

J’avais ces images dans l’esprit, quand je reçus une lettre venue du fond du désert. Elle portait le timbre de l’oasis de Guerrara, le premier bureau de poste qu’elle avait rencontré après un long parcours à chameau.