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DANIEL DE FOE 169

croupissait le peuple au port où vivaient les marins. Que de visions t'apparurent alors, le jour, la nuit, le soir, par les portes entre-baîllées des demeures, par les étroites et poussiéreuses fenêtres ! Le petit tailleur juif qui répare des habits à la lueur d'une chandelle fumeuse, la veuve qui s'use les yeux sur d'interminables et moroses coutures, le savetier qui ressemelle de vieux souliers, la fille qui n'a pas mangé et qui se peint les lèvres pour aller, le soir, sourire au passant, l'aveugle et le paralytique qui râlent sur de vieux grabats, les marchandes de saucisses et pommes, toutes boursouflées de graisse et qui s'enflent avec l'âge comme des outres, le libelliste qui rédige au fond d'un bar de méchants libelles et va jeter encore de la haine par le monde, jusqu'aux protestants qui ne sont pas de la secte officielle et que l'on poursuit, aux catholiques à qui les protestants font endurer de hideux sévices, voilà tout ce que tu vis, tout ce que tu connus en allant, parmi ces quartiers, dans Londres. Partout ce n'étaient que plaintes, ce n'étaient que sanglots, ce n'étaient que douleur et misère.

Alors un jour, t'inspirant de tout ce que tu avais entendu, de tout ce que tu avais vu et sur- pris, il te vint une idée audacieuse : ces clameurs de toute une population de malheureux, de per- sécutés, de gens sur qui pesait la rigueur des lois, tu pensas à les enfermer dans un cri violent, dans un appel suprême.

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