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la nouvelle revue française

Phidias peut encore le révéler à ceux qui l’aiment suffisamment pour se refuser à le suivre... Avec Giotto le mouvement, la vie, l’intelligence, le grand calme architectural, tout envahit les formes à la fois. Parce qu’il arrivait presque le premier, il disposa de moyens réduits, mais il sut traduire avec eux une conception du monde et de la vie tout à fait mûre. La seule expression que son temps lui permit d’en donner, il la donne complète et consciente, avec la liberté et la sobriété des hommes qui portent en eux une de ces minutes décisives que l’humanité met parfois plusieurs siècles à conquérir.

“Bien qu’il n’eût en lui que les forces virtuelles accumulées par les besoins non satisfaits des hommes, bien qu’à peu près personne avant lui n’eût regardé vivre la forme, il sut tout de suite voir que tous nos désirs et tous nos rêves et tout ce qui est divin en nous, tout nous vient de nos rencontres avec elle... Il en eut un sens si pur que l’image qu’il en fait revivre passe directement en nous ainsi qu’une action vivante sans que nous ayons eu le temps de nous apercevoir que ce n’est là, au sens propre du mot, ni de la sculpture puisque les profils et les groupes disposés sculpturalement sont projetés sur une surface peinte, ni de la peinture puisque le rôle des valeurs, des reflets et des passages y est à peine soupçonné. Cette forme rudimentaire est traversée d’un éclair d’âme, qui la dresse d’un seul coup.

“Il fut à lui tout seul en Italie ce christianisme populaire qui poussait à cette époque en champs touffus dans la sensibilité des foules françaises.

“Voyez ces figures qui s’avancent pures et d’un seul mouvement, ces harpes, ces violons qui jouent, ces palmes secouées, ces nobles groupes autour des lits de mort, d’accouchement ou d’agonie. Quelque chose y frémit que ne connaissaient pas les grecs... De la douleur sur les bouches, de la douceur dans les yeux... Quelque chose y resplendit que ne connaissait plus le autres formes, une harmonie de mouvements qui se répondent,