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88 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

de sept ? Vous ferez votre communauté un autre jour. Les braillards sont partis et ne pensent plus à vous. Bon sang de sort, vous n'allez pas prendre le deuil pour ces deux douzaines d'ivrognes ? "

Il diminuait le nombre de ses vaincus ; il s'amusa intérieurement de ce sacrifice d'amour propre. Mais ces gens n'étaient que des enfants. Les hommes se trouvaient là-bas, de l'autre côté, quelque part dans le monde. Ici les sentiments normaux n'avaient plus cours. On pouvait se diminuer sans risque. Personne ne le saurait. Il ne put réprimer un sourire en jetant un regard autour de la table. Il ajouta, par condescendance :

— " Les mauvais jours passeront, vous verrez. "

Et c'est qu'il le croyait ! Il fit courir sa main dans sa barbe. La vieille Sarah apporta la soupière qui fumait. Une odeur d'oseille acidula l'air. Le Voyageur s'aperçut qu'il mourait de faim. Tout son être se sentit pénétré de paix et de contentement.

— " Quand ils seront loin, vous trouverez la vie meil- leure. La vie, c'est la lutte, la bataille. Moi je ne connais que ça. "

Comme il disait ces mots, il tenait le nez baissé sur son assiette pleine. Une vague inquiétude lui fit lever la tête. Le vieillard, une manche de veston retirée, enlevait sa manchette droite. Il tira sa chemise. Le bras long, maigre et poilu sortit jusqu'au coude du linge douteux. La pâleur blafarde de la peau d'un homme est douée d'une force de répulsion qui va, chez certains, jusqu'à la nausée. Le Voyageur reposa sa cuiller fumante. Il vit Davidowitsch tirer de sa poche une vieille calotte de fourrure et s'en coifFer. Les autres passèrent d'un air las

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