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ROSE LOURDIN ^IJ

de Genève, j'ai passé dans la ville où était notre pension- nat, et je suis allée chez le photographe qui, chaque année, prenait le groupe des élèves. Il avait gardé les anciens clichés, et j'ai pu faire tirer le groupe où nous étions, Rosa Kessler et moi.

Quand je reçus l'épreuve, quelle surprise ! toutes ces petites filles en robes d'uniforme, et peignées à la chinoise, était-ce bien nous, cela ? Quels pauvres airs d'orphelines, quelles petites figures tristes ! et incultes et rudes comme des visages de garçons....

Sur les gradins, je reconnaissais des regards et des attitudes oubliés depuis près de quinze ans. Soudain les noms d'autrefois sortaient du fond de ma mémoire, avec un ensemble confus de faits qui me rendaient sensibles des caractères déjà formés alors. La grande qui me faisait souffrir, par exemple : les joues grasses, hautes et plates, où le haut du visage s'emboîte, les petits yeux, là-derrière, insolents et bien assurés, et qui savent que le monde ne changera pas pendant qu'ils abaisseront lentement leur paupière épaisse. Voyez-vous : elle devait être, un jour, ime riche héritière. Moi, je figure à sa gauche. Quelqu'un m'a dit : " Comme vous aviez l'air sage et triste ! " Et en effet pourrait-on jamais croire que cette petite fille bien sage était si follement amoureuse ?

Les maîtresses nous encadraient. Je reconnus Mlle Spiess, Comme elle me parut jolie, droite et mince, avec son haut faux-col blanc et ses cheveux clairs bouflànts ! Elle avait l'habitude de souffler en l'air pour écarter de son sourcil une mèche indisciplinée qui retombait toujours. Elle me paraissait bien laide, quand j'étais petite. Et moi, avec mes grands yeux châtains et mes longs cils, j'étais

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