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43° LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

babillardes, les cheveux beurrés et montrant, assises devant le carré de cotonnade où s'étale leur marchandise, les plus jolis pieds du monde. Tout est désert aujourd'hui : à peine devant les petites tentes en bonnet de police des vendeurs de sel campés dans un coin, deux ou trois passants désœuvrés et quelques chiens qui rôdent autour de l'arbre des pendaisons, le vieux genévrier géant où cet hiver deux pendus longtemps se sont balancés.

Du reste, pour animer le silence de la rue, mes vingt-six mulets et les cris de leurs conducteurs suffi- sent amplement. Les bêtes n'ont pas encore repris l'habi- tude de marcher de conserve : les unes trottinent, les autres s'attardent. Il y en a dont le dos démange déjà sous le bât et qui, pour se soulager, raclent de leur charge les murailles et les clôtures. Les nagadis se multiplient, les kourbaches volent et s'abattent : c'est un fier tumulte. Dans les caisses secouées, cependant j'écoute, anxieux, le brinqueballement sinistre de mon bagage : tout doit être en morceaux là-dedans !... En tête de la caravane, indifférent au vacarme, s'avance un petit esclave noir ; son pantalon troué laisse voir ses mollets un peu maigres ; joli d'ailleurs, des yeux qui rient, les mains fines et les reins bien creusés. Il porte sur l'épaule le long roseau où s'accrochera ce soir la tente de son maître. — Tandis qu'en désordre, nous descendons l'avenue qui mène au Guebbi, un convoi de dromadaires défile en sens inverse, à côté de nous. Pelés, déhanchés et la lippe pendante, ils nous jettent au passage, sans détourner la tête, un morne regard de profil et continuent paisiblement, l'un derrière l'autre attachés, d'un même pas élastique et régulier qui n'ébranle point les colis juchés sur leur dos

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