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Dans les jardins des riches, les après-midi d’été, tu portais le poids de la chaleur, sans te plaindre, puisque chaque heure de travail t’était payée cinq sous ; il te fallait rester penché douze minutes sur la terre pour gagner cinq centimes. Car tu n’étais pas de ceux qui flânent, qui s’en vont de droite et de gauche, à bavarder avec les servantes, et qui se dérangent même dix minutes pour aller boire un verre à l’auberge, en face. Tu voulais en donner aux riches pour leur argent. Tu n’ignorais pas que gagner cinq sous par heure de travail oblige à ne pas se reposer seulement une minute. Tu n’entrais ni dans les auberges, ni dans les cafés, parce que tu savais le prix de l’argent, et que ni les aubergistes ni les cafetiers ne font cadeau de leur " marchandise ". Tu ne fumais pas : le tabac donne mal à la tête, il empoisonne. Et il faut travailler deux heures durant pour gagner un paquet de tabac de cinquante centimes. C’est une grande force, dans la vie, d’avoir, comme étalon, le prix d’une heure de travail. On n’a pas besoin de distractions : il faut que, toujours, la volonté soit tendue, et qu’à pas un seul endroit elle ne fléchisse. C’est surtout dans les petites villes que chacun pourrait, devrait connaître son bonheur, parce qu’il n’y a guère, en elles, de ces arrogants, de ces moqueurs qui vous bousculent dans les rues, et pas beaucoup de ces rivalités, de ces jalousies qui, dans les grandes villes encombrées d’ateliers et de bureaux, vous dressent l’un en face de l’autre, l’injure sur les lèvres, la menace dans les poings. Notre maison, où tu rentrais chaque soir, était le lieu de ta distraction, puisqu’elle était le lieu de ton repos, et le complément du bonheur qui consistait, pour toi, à consacrer au travail toutes les minutes de ta vie.