46 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
II
Je fus réveillé d'assez bon matin par les bruits de la cuisine dont une porte ouvrait précisément sous ma fenêtre. En poussant mes volets j'eus la joie de voir un ciel à peu près pur ; le jardin, mal ressuyé d'une récente averse, brillait ; l'air était bleuissant. J'allais refermer ma fenêtre, lorsque je vis sortir du potager et accourir vers la cuisine un grand enfant, d'âge incertain, car son visage marquait trois ou quatre ans de plus que son corps ; tout contrefait, il portait de guingois : ses jambes torses lui donnaient une allure extraordinaire : il avançait oblique- ment, ou plutôt procédait par bonds, comme si, à marcher pas à pas, ses pieds eussent dû s'entraver.... C'était évi- demment l'élève de l'abbé, Casimir. Un énorme chien de Terre-Neuve gambadait à ses côtés, sautait de conserve avec lui, lui faisait fête ; l'enfant se défendait tant bien que mal contre sa bousculante exubérance ; mais au moment qu'il allait atteindre la cuisine, culbuté par le chien, soudain je le vis rouler dans la boue. Une mari- torne épaisse s'élança, et tandis qu'elle relevait l'enfant :
— Ah ben ! vous v'ià beau ! Si c'est Dieu permis de s'met' dans des états pareils ! On vous l'a pourtant répété bien des fois d'quitter l'Terno dans la remise !... Allons ! v'nez-vous en par ici qu'on vous essuie....
Elle l'entraîna dans la cuisine. A ce moment j'entendis frapper à ma porte ; une femme de chambre m'apportait de l'eau chaude pour ma toilette. Un quart d'heure après, la cloche sonna pour le déjeûner.
Comme j'entrais dans la salle à manger :
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