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PETITS DIALOGUES GRASSOIS 497

méprise les succès faciles et surtout les coûteuses habitudes de réclame et d^ américanisme qui ont amené ses confrères M. Garenne et M. Tordello à créer sur le Jeu-de-Ballon des magasins tout en faça- des^ en primes et en chromos. Sa gloire à lui est plus ancienne, plus modeste, et sera plus durable. Elle est consacrée par F assentiment du juge d^ instruction, du président du tribunal, du commandant de la gendar- merie, du bibliothécaire de la ville, du comte de Barbaroux, gourmets éprouvés et difficiles; elle est basée sur des conserves impeccables, des gibiers rares, des primeurs délicates, des charcuteries contre lesquelles Huysmans lui-même n'aurait rien trouvé à dire, des olives dont Lucques pâlirait de jalousie si elle pouvait les goûter, et surtout des jambons fumés incomparables^ de ces jambons fumés dont le plus délicat écrivain de la Belgique, le subtil Henry Maubel, qui les connut^ disait quHl fallait en manger en regardant une fenêtre ouverte contre des buissons de roses, et sur la prove- nance desquels lui, M. Manou, garde le plus profes- sionnel des silences. Maurice n'irait jamais à Grasse, sans passer quelques minutes dans cette boutique étroite et sombre, mais hantée du plus pur fumet des viandes fines et des conserves, encombrée de barils, de caisses, de boites. Des perdreaux, des lièvres, d'aromatiques oiseaux pendent du plafond. M. Manou trône au milieu de ces attributs de sa puissance. Il en est si fer, c'est tellement un artiste plutôt qu'un commerçant que, lorsqu'il se trouve en présence d'un véritable amateur, il lui fait goûter des meilleures choses qu'il possède, comme cela, sans arrière-pensée de la vente future, pour la joie désintéressée du prosélytisme.

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