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ISABELLE 453

— Et il paraît que ça n'jr va pas bien lort ?

Je le regardai ; son menton tremblait ; il restait sans me répondre ; brusquement il me saisit par le bras et m'entraîna vers la pelouse qui s'étendait devant le per- ron du salon. Là gisait le cadavre d'un chêne énorme, sous lequel je me souvins de m'être abrité de la pluie à l'automne ; autour de lui s'entassaient en bûches et en fagots ses branches dont, avant de l'abattre, on l'avait dépouillé.

— Savez-vous combien ça vaut, un arbre comme ça ? me dit-il : Douze pistoles. Et savez-vous combien ils l'ont payé ? — Celui-là tout comme les autres... Cent sous.

Je ne savais pas que dans ce pays ils appelaient pistoles les écus de dix francs ; mais ce n'était pas le moment de demander un éclaircissement. Gratien parlait d'une voix contractée. Je me tournai vers lui ; il essuya du revers de sa main, sur son visage, larmes ou sueur, puis, serrant les poings :

— Oh ! les bandits ! les bandits ! Quand je les entends taper du couperet ou de la hache, Monsieur, je deviens fou ; leurs coups me portent sur la tête ; j'ai envie de crier au secours ! au voleur ! j'ai envie de cogner à mon tour ; j'ai envie de tuer. Avant-hier j'ai passé la moitié du jour dans la cave ; j'entendais moins... Au commencement, le petit, ça l'amusait de voir travailler les bûcherons ; quand l'arbre était prés de tomber, on l'appelait pour tirer sur la corde ; et puis, quand ces brigands se sont approchés du château, abattant toujours, le petit a commencé à trouver ça moins drôle ; il disait : ah ! pas celui-ci ! pas celui-là ! — Mon pauvre gars, que je lui ai dit, celui-là ou un autre, c'est toujours pas pour toi qu'on les laisse. Je lui ai

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