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TAORMINE 389

conscience, le songe de départ alors descellant dans l'obscurité des cales les paupières de ces frères endormis. Où donc allais-je, et quelle route le vaisseau suivait-il ? Cela certes rien plus en moi ne le savait ni ne le demandait. Plus rien n'était, sous les mains à mon front fraîches des souffles nocturnes que le pur esprit du mouvement qui circulairement glissait dans l'espace autour d'une bulle suspendue d'eau.

Le matin, déjà, nous avons aperçu la barre droite de la Sicile, abaissée au détroit et que prolongeaient les chaînes de la Grande Grèce. D'une élévation décisive, royal et beau sans bruta- lité, l'Etna, sous sa couronne et ses plis de neige se gonflait comme le cœur ou le nœud du ciel et de la rive fuyante, les réunissait dans un jeu souple des mêmes lignes lumineuses. Il posait, sur cette rive orientale de la Sicile, du style et de la gravité. Dans les trois voyages où Platon vint aborder ici, cette cime, toute seule après les monts désordonnés et confondus de la Grèce, peut-être lui présagea- t-elle de la patrie de Dion, déployée dans une ampleur d'éther, une terre philosophique, à la simplicité et à la beauté rationnelle, et comme l'Idée, en l'Etna, de la montagne.

Quand le soir, débarqué à Catane, je fus sitôt parti pour Taormine, je gardais cette musique de pensée qui dans l'essence de soleil et le sel de l'air marin depuis l'Archipel ne m'avait pas quitté.

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