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3l8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

l'oratorio, du moins dans ses première et dernière parties, n'ait pas encore trouvé place sinon sur un théâtre, du moins au programme de nos grands concerts, si hospitaliers d'ordi- naire à la musique dramatique. Lorsque Guercœur parut, voici quelque dix ans, le goût régnait moins qu'aujourd'hui de la "sensation" pittoresque : je me plais à penser que dans sa nudité abstraite, il aurait obtenu plus facilement de l'auditeur le renoncement nécessaire à des habitudes — en ce temps moins enracinées — d' "amusement musical". Les applau- dissements dont on vient de saluer l'exécution du !"• acte marquaient plus de respect admiratif que d'enthousiaste élan. Est-ce la faute du public seul ? ou aussi du musicien ? — ou simplement du librettiste ? Le livret, disons le poème que M. Magnard proposait à M. Magnard, semblable en cela à nombre de livrets-poèmes écrits par des musiciens, répondait sans doute dans l'esprit de son auteur à une idée lyrique très humaine, très pure, très haute, — très digne d'être exaltée par les sons, mais réalisait bien rigidement cette idée. Bonté, Vérité, Justice, Souffrance... ce sont là déesses laïques, sans passé et sans avenir, vides de contenu vivant, et comme créées exprès pour contrarier l'inspiration musicale. De fait, on n'ima- gine pas symphonie orchestre- vocale plus dépouillée que celle- ci. Une forêt d'hiver, par un temps de gel net, que la vue perce à jour jusqu'à ses derniers fûts et dénombre d'un seul coup d'oeil, arbre par arbre. Pas une ombre, pas un doute, pas un espoir : tout ce qu'il faut et rien de plus. On ne peut pas ne pas être impressionné par cette parfaite ordonnance d'idées toujours amples et pures, claires, aérées, à leur plan, pénétrées d'une impitoyable noblesse, dont lasse cependant l'infaillible conti- nuité. Combien Wagner parait touffu, Franck indécis, auprès du Magnard de Guercœur qui procède de ces deux maîtres — mais surtout de Beethoven : Beethoven combien vivant ! Ici il semble ne plus subsister que le style... — Examinez pourtant de près la matière mélodique et rhythmique de l'œuvre. Quelle richesse, quelle véhémence, quel accent propre à l'auteur — et sans cesse contenu ! Songez que ce drame lyrique se place dans l'oeuvre de M. Magnard entre sa

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