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NOTES 17 ï

��LE CONCERT DE M— JEANNE RAUNAY.

Le style, cette tenue suprême des grandes œuvres d'art, cette pudeur noble qui les distingue des ouvrages d'un jour, pourquoi refuserions-nous de le saluer au passage, aussi bien que dans un chant, aussi bien que dans une statue, lorsque nous le rencontrons dans une personne vivante, dans un inter- prète des maîtres, exécutant, cantatrice, acteur. M"»* Jeanne Raunay, qui fut une admirable iphigénie, vient de prêter son concours, dont à notre gré elle se montre trop avare, à un concert de musique ancienne presque également beau d'un bout à l'autre, de Mozart à Carissimi. L'atmosphère n'était point celle des concerts du dimanche. A peine si l'or- chestre Che\'illard, malgré la pureté et la précision de son jeu, joua trop lourdement l'ouverture des Noces et la Sérénade à cordes avec un trop grand nombre d'instruments : Mozart se serait-il reconnu dans ce tonnerre ? Une suite d'Haendel très faible, d'un fignolage banal, interrompit à peine notre joie. Un rare accord, tout le reste du temps, régna entre le chef, les instrumentistes, les chœurs, et M""* Raunay la cantatrice ; il sembla que celle-ci imposât son style à chacun. Elle a la gravité, elle a la grâce ; elle sait jusqu'où doit aller le libre épanchement passionnel, dans un air comme celui des Noces; elle s'arrête juste au point où la phrase alentie se fait intérieure. Cet art de la nuance, infiniment compréhensif, qui ne s'égare jamais dans la mièvrerie, elle le porta, avec la même sûre adresse, dans l'interprétation de deux poignantes et allègres cantates du vieux Heinrich Schûtz, dans l'évocation de la Fille de Jephié, vierge malchanceuse (comme vous m'avez déçu, ma fille) dont le grand Carissimi. presque un inconnu pour nous, dialogua l'énergique histoire, en une cantate de la plus souple, de la plus neuve et de la plus haute beauté. Au contact de chaque maître, elle devient autre ; elle pénètre de chacun la plus profonde intention; elle sait varier à l'infini non seulement le ton de la passion, ce qui est aisé, mais celui de la grandeur ;

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