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limites. Les pauvres c’est d’abord sans doute ceux qui ont froid, ceux qui ont faim dès aujourd’hui, et ceux qui tremblent d’être comme eux, si leur travail s’arrête un jour. Puis c’est tous ceux à qui l’on a fait tort, les humiliés, les offensés. Et c’est encore ceux-là pour qui toute possession est vaine, qui ne savent rien saisir, qui laissent toute joie couler entre leurs mains. Dostoïevsky a trop vécu ces trois misères pour ne pas les sentir parentes : il y a chez lui des princes qui parlent comme de vrais pauvres, parce qu’ils se sentent pareillement dépouillés, pareillement affamés, pareillement impuissants à contenter le moindre de leurs désirs. De même Philippe, à côté de ceux qui sont pauvres, nomme « ceux qui sont laids et ceux qui sont timides, qui se promènent parmi les débris de la fête et cherchent dans les coins quelque débris qu’on leur aura laissé » ; et, non loin d’eux, celui qui, devant la conquête, est « comme le mauvais capitaine qui cherche encore ses raisons » ; « celui qui ne sait pas se servir du bonheur. »

Il en vient là malgré lui, sans se complaire à ce rapprochement qu’il jugerait sacrilège. Si toute misère le ramène à la détresse matérielle, au labeur sans sécurité, c’est qu’ici seulement il croit toucher seule la misère authentique à quoi les autres se mesurent. Pour avoir entendu, chaque jour de son enfance, causer du pain, et de la soupe, et du travail qui les gagne, les propos qu’on échange à la