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130 La nouvelle revue française

spéciale de Franck, très différente de la rectitude du formida- ble tourbillon wagnérien, que guide sa seule pesanteur. Cette musique est si serrée, elle s'agence si scrupuleusement qu'au- cune interruption ne s'y saurait insinuer ; rien ne manque, aucune virgule ne permet la pénétration d'une divergence ; l'intention est sans cesse présente en chaque détail et lui interdit de distraire. Aussi le développement n'emprunte-t-il rien de l'extérieur ; il procède par éclosions successives ; la mélodie se déploie en plusieurs moments, imitant la fragile et progressive détente d'une pousse ; elle ne progresse qu'en se précisant elle-même par ses répétitions, qu'en se dégageant peu à peu de son propre repliement. A mesure qu'elle se fortifie, l'harmonie émane d'elle et l'environne ; il n'y a en- richissement que par multiplication intérieure, et c'est par l'approfondissement du passé, que surgissent les découvertes nouvelles. La modulation elle-même n'est ici qu'une forme de la continuité ; elle n'a jamais le souci de créer un contraste ; mais elle s'emploie à marquer d'exactitude les passages ; elle est toujours comme une main qui s'ouvre lentement, comme l'insensible introduction à plus de lumière, comme la filtration irrésistible d'une même clarté qui gagne plus d'espace.

Une âme se chante avec fidélité. Tout vient d'elle. Elle s'épanouit dans la solitude; elle s'offre, se développe, s'accroit, se donne avec une candide prodigalité ; mais elle est seule ; on sent qu'elle n'a rien eu à vaincre et que dès sa naissance elle fut céleste. Aucun débat. La sensualité n'insère nulle part ses tentations : c'est d'être si pure que la musique de Franck est si juste. On ne peut s'empêcher de sourire à l'admirable Psyché. Franck dévêt Eros et Psyché de leurs corps ; à la charnelle poésie du mythe antique il substitue l'histoire de l'Ame, et de l'Amour ; entendons : l'amour divin. Le duo, si plein d'enlacements et de courbes flammes, que chante l'or- chestre, brûle d'un pathétique uniquement spirituel : ce sont les noces de l'âme sainte avec Dieu. Et l'exaltation progres- sive de cette âme, son transport croissant, le tremblement de plus en plus passionné de sa dédicace, atteignent une intensité si poignante qu'on ose à peine préférer secrètement d'autres

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