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notes 553

mais son émotion est si intime, si uniquement musicale qu'elle ne saurait comment composer d'elle-même son maintien ex- térieur et qu'elle accepte avec joie un visage tout fait, ainsi que les acteurs des tragédies grecques, n'accordant d'impor- tance qu'à la substance même de leurs paroles, pour les pro- noncer sur la scène prenaient des masques.

Un air ou un chœur de Dardanus, encadré par ses ritour- nelles ou engagé entre deux récits de forme à peu près fixe, est aussi expressif que les plus libres mélodies dramatiques d'aujourd'hui. Seulement au lieu de s'appliquer à traduire le poème mot à mot et à se modeler sur lui, au lieu de le saisir corps à corps et de décrire son sens avec une minutie presque syllabique, Rameau ne prend les paroles que comme un texte à développer musicalement, comme une épigraphe qu'il faut justifier ; il les énonce, puis les commente en les enveloppant d'un réseau merveilleux dont les fils entrecroisés de mille façons laissent flotter le sens prisonnier parmi la transparence de leurs mailles. C'est ainsi que reprenant plusieurs fois la même phrase, il exprime tous les aspects de l'émotion musicale qu'elle lui suggère, jusqu'à ne pouvoir plus que la reproduire en finissant dans la simplicité primitive de son apparition. — Avec une âme différente et tout ce que peut ajouter de richesse l'in- quiétude de la foi, Bach écrit dans le même style ses cantates. — D'ailleurs Rameau n'ignore pas la traduction textuelle, et quand il y recourt, il sait noter les plus flexibles accents, les plus sensibles désinences. La mélodie du grand air d'Iphise est comme le battement virginal du cœur, comme la passagère lueur des yeux, fine, inquiète et mouvante, aussi attentive aux ondulations des phrases que la déclamation de Debussy.

Mais le véritable prodige c'est l'orchestre, qui, ne procédant que par rigaudons, menuets et chaconnes, tient l'auditeur dans un trouble perpétuel d'attente et de délice. Partout traînent les désirs, coulent les plaintes, glissent au long du cœur les plus voluptueux désespoirs. Qu'on ne s'y trompe pas. Il ne s'agit pas seulement des " tendres amours " et des " doux soupirs " dont le texte est prodigue ; nous ne respirons pas là simple- ment la fadeur galante du XVIIP siècle. Mais les tristesses, les

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