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754 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

influence de Pater culmine et disparait à mon sens dans l'œuvre de James Joyce. Ce que j'avance ici est sujet à discussion ; je ne suis pas du tout sûr que M. Joyce souscrirait à cette analyse de ses origines, mais pour ma part je vois dans Un Portrait de l'Artiste comme jeune homme l'œuvre d'un disciple de Walter Pater aussi bien que d'un disciple du cardinal Newman. Dans Ulysse ce courant disparait. Dans Ulysse, cette influence, — comme l'influence d'Ibsen et toutes les autres influences aux- quelles M. Joyce s'est soumis, — est réduite à zéro. Mon opinion est qu'Ulysse n'est pas tant une œuvre qui ouvre une époque nouvelle que le gigantesque aboutissement d'une époque révolue. Avec ce livre Joyce atteint à un résultat singu- lier, singulièrement distingué, et peut-être unique en littéra- ture : cette distinction consiste à ne pas avoir de style du tout, — et à ne pas en avoir, non pas au sens négatif, mais bien au contraire dans un sens très positif. Je veux dire que l'œuvre de M. Joyce n'est pas un pastiche, mais que néanmoins elle ne possède aucun des signes qui permettent de diagnostiquer la présence d'un style.

L'œuvre de M. Joyce met fin à la tradition de Walter Pater comme elle met fin à un grand nombre d'autres choses, et elle accentue par là la nécessité où se trouvent les écrivains de cette génération de prendre un nouveau départ, soit en se soumet- tant à une influence étrangère, soit en développant quelque tradition anglaise plus ancienne.

Il y a eu des écrivains très distingués qui sont demeurés étrangers à la généalogie que je viens de tracer ; à n'importe quelle époque des étrangers de ce genre peuvent toujours surgir dans les lettres anglaises. Henry James, Joseph Conrad et Charles Doughty sont des écrivains qui possèdent des styles très personnels et incommunicables ; des styles que l'on peut imiter, comme on peut imiter celui de M. Proust, mais dont il est peu probable qu'ils servent de point de départ à une tradition.

Doughty est le moins connu de ces écrivains, en partie parce que son grand ouvrage Voyages dans l'Arabie déserte est difficile à se procurer et fort coûteux. Un bon essai sur la prose de M. Doughty — et qui renferme des citations — se trouve dans le livre récent de M. Middleton Murry, Régions de l'Esprit. L'œuvre de M. Doughty est étrangement isolée. Elle constitue

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