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74 2 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

petite armoire où votre mari cachait sa correspondance, car quel espoir avais-je de me montrer utile ? Mais je ne l'oubliais pas ; et lorsque, cet été, j'ai pu prendre inopinément quinze jours de repos, cette idée m'a con- duit sur votre plage... Il faut vous tigurer l'ignorance où presque tous les hommes sont d'une femme véritable. Cette lettre de vous, que j'avais surprise, représentait pour moi ce que l'amour peut avoir de plus fidèle et déplus charmant.

Peut-être (allant plus loin que le cas strict de Vernois ne le comporte) pourrait-on déceler ici l'embryon d'un phénomène assez général et enregistrer un détour nouveau de l'amour- propre : nous sommes si naturellement égocentristes, il nous paraît si anormal (quoique nous n'en convenions pas) que les autres puissent éprouver et plus encore inspirer des sentiments, que lorsque nous en interceptons l'expression adressée à autrui, nous sommes suffisamment surpris pour qu'une curiosité en naisse, — qui peut à l'occasion devenir irrésistible. Nul dessein arrêté; simplement une pente que l'on suit et au sujet de laquelle, ainsi qu'il advient dans le Camarade Infidèle, on se donne dès le départ les motifs les plus spécieux. Combien, et qui ignorent jusqu'au nom de Schopenhauer, n'en vivent pas moins toute leur vie en fonction de son axiome liminaire : le monde est ma représentation.

Une réserve pour finir, et qui vise le rôle prépondérant et pas assez différencié que l'auteur accorde au petit Antoine. Il me semble qu'avec le goût des difficultés qui le caractérise Schlumberger aurait dû se donner une difficulté de plus en obli- geant son dénouement à ne surgir que des deux protagonistes. Que si l'on me répond que la nature de Vernois avait besoin de ce prétexte pour se découvrir tout à fait, je le veux bien ; mais alors il faudrait que l'enfant apparût nettement, sinon comme un simple prétexte, du moins comme un mobile de second plan ; or le sentiment que Vernois éprouve pour le petit Antoine nous est montré comme plus important que cela ; et je ne dis pas qu'il ne soit pas concevable que Vernois épouse Clymène en partie à cause de lui, mais en ce cas le problème dévie un peu, perd quelque chose de sa plénitude et de sa rondeur : la boucle est moins complètement bouclée.

CHARLES DU BOS

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