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7 16 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

non plus les morceaux solides du livre, on le voit, pour sa plus grande partie, crouler de deux côtés. Tout d'abord des lois d'évolution de la critique, d'évolution d'un genre, sont tirées par Brunetière de considérations qui portent uniquement sur la critique française. Or presque toutes les autres littératures modernes ont comporté leur critique, et il suffit de lire la grande History of criticism de M. Saintsbury pour voir à quel point le genre, si genre il y a, a évolué diversement dans les divers pays. En second lieu, dans l'espace même de cette critique française à laquelle Brunetière îestreint son étude, on est frappé d'une lacune ou d'un parti-pris analogues : la critique française, pour lui, est surtout une suite de professeurs en acte ou en puissance, qui va de La Harpe à Brunetière lui-même, et où par exemple Yillemïùn est investi d'une grande importance. Prenez cela en gros. Madame de Staël, à laquelle Brunetière fait avec raison une place considérable, n'a évidemment rien d'un professeur, et Sainte-Beuve ne le fut qu'accidentellement. Au surplus il est tout naturel que l'enseignement soit le second et même le premier métier d'un critique professionnel. Je n'ai aucune raison de dénigrer la critique universitaire. Mais, comme tout ce qui existe, elle a ses limites. Elle n'est pas la seule critique. Elle est bornée de deux côtés. Il y a deux autres critiques qui commencent sinon là où elle finit, tout au moins là où elle faiblit, où elle devient gauche et dépaysée, et qui au surplus sont ses aînées. J'appellerais l'une la critique parlée et l'autre la critique d'artiste. En se bornant à la critique française du xix e siècle, on écrirait sur chacune d'elles un livre aussi consi- dérable et aussi intéressant que celui que Brunetière a consacré à un seul des trois secteurs, qui lui paraît la critique entière. Prenons un peu d'esprit géographique. La géographie, dit Voltaire, permet d'opposer l'univers à la rue Saint-Jacques et de ne pas croire que les orgues de Saint-Séverin donnent le ton au reste du monde. Ils ne le donnent pas même au reste de Paris. M. Yandérem a écrit autrefois, pour exprimer pittores- quement le rythme binaire de l'intelligence parisienne, son roman des Deux Rives. Admettons qu'avec la Cité et les autres îles cela en fasse trois, et tâchons de voir notre paysage cri- tique de ce point de vue des trois rives.

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