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714 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

les habits des garçons dont il entendait, derrière les aulnes, les cris et les ébrouements. Il se coucha à l'ombre étroite d'une haie. Parfois, à travers les branches, étmcelait de soleil et d'eau un corps fuyant. Il semblait que la torpeur d'un jour torride eût éveillé les Œgipans endormis et que le grand Pan gonflât soudain sa poitrine feuillue. Daniel, comme dans le désert un assoiffé suce un caillou, répétait : Gisèle... Gisèle...

Pour rentrer à l'hôtel, il gagna un chemin creux, et soudain il la vit. Elle venait du gave. La verdure avait souillé de sève sa robe de piqué, elle tenait son chapeau à la main. Il pensa d'abord à ceci qu'elle venait du gave plein d'éclaboussures et de cris. Elle lui dit précipitamment, comme pour se défendre :

— Je vous cherchais... Elle arrive demain... Il répondit sans la regarder :

— Que voulez-vous que ça me fasse ?

Il marchait si vite qu'elle était obligée de courir pour le suivre. Elle lui demanda :

— Vous restez encore ?

— Si ça me plaît.

Perdant le souffle, elle lui dit :

— Je voudrais... Je voudrais que vous ne vous occupiez plus de moi. Maintenant, ce n'est plus la peine... Laissez- moi...

Il ne répondit pas. Elle avait renoncé à le suivre, sans doute pour éviter qu'ils entrassent ensemble à l'hôtel. Il se retourna et la vit immobile au milieu de la route sans ombre, — la même épave, la même qu'avait roulée l'égout vivant des Boulevards ; corps noyé dans la cohue du Printemps ; petite vague battant les comptoirs des Galeries Lajaxelte ; voyageuse errante à l'heure du train sous le hall fumant de la Gare du Nord '.

{A suivre). François mauriac

1. Copvright by Librairie Gallimard, 1922.

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