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LE FLEUVE DE FEU 7O5

Ils rirent encore, s'étonnèrent de se sentir camarades comme si ces quelques jours où, sans une parole, ils n'avaient cessé de penser l'un à l'autre, plus sûrement que de longues confidences les avaient rapprochés. Ils admirèrent le travail déjà fait. Elle montra qu'elle avait des lettres en citant une phrase de Maeterlinck touchant les âmes qui se connaissent sans l'intermédiaire des corps. Il osa répartir que les corps, et non les âmes, réagissent à distance, se flairent, s'approuvent... Elle éclata d'un rire affreux — girouette ou crécelle — qu'elle arrêta net. Daniel détesta d'abord ce rire qui ne ressemblait pas à ce visage pur. Il souffrit encore, l'observant de près, parce qu'elle n'était peut-être pas aussi jeune que sa myopie le lui avait fait croire. Ardemment, il contemplait ce visage roussi, et comme flammé — ce beau grès vivant. Mais autour de la bouche, des yeux, au cou même, déjà parais- saient des signes d'usure. Jeune certes, mais d'une jeu- nesse déclinante qui l'embrasait et la blessait comme de flèches horizontales. Grossier, il lui demanda son âge. Elle regarda, interdite, cet homme — plus rien du joli garçon flatteur et doux — cet homme impérieux.

— Croyez-vous que je dise mon âge au premier venu ?

Le ton enjoué adoucissait un peu l'injure ; mais qu'im- portait à Daniel ? Il retenait seulement cela qu'elle avait honte de son âge. Rien, rien ne pouvait faire qu'il l'ait connue dans sa prime saison. Il la suivit sur la ter- rasse. Les branches s'égouttaient dans les ténèbres pleines de coassements. Comme il allumait une cigarette, elle lui dit :

— Je reconnais à l'odeur une abdulla. Donnez-m'en une.

Il répondit sèchement :

— J'ai horreur que les jeunes filles fument.

Le rire qu'il détestait grinça, s'interrompit. Il lui tendit alors, sans la regarder, un étui d'écaillé ; comme

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