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LE FLEUVE DE FEU 699

petite Marie Ransinangue, gardée dans un cloître, défendue des regards. Jalousie ? Il savait que cette passion en lui dépassait toute jalousie, car lorsque avec une imagination prompte et patiente, il tentait de la posséder en pensée, de la dénuder, il souffrait autant de cette débauche que si elle s'y fût livrée avec un autre.

Au repas du soir, elle l'accueillit d'un salut court et ne le regarda pas une seule fois, même à la dérobée. Il ne s'inquiéta pas de cette reprise : il la laisserait courir, lui donnerait l'illusion de la liberté, sachant que d'un bond il pourrait l'atteindre, se servir d'elle. Non, il n'était pas pressé et, durant ce repas, déplora même que l'ennemie inconnue ne fût pas là, cette Villeron qu'il aurait aimé combattre à visage découvert. Que la jeune fille semblait triste de son absence ! Elle ne se surveillait pas, mangeait le coude sur la table, l'œil vague. Elle avait gardé sa jupe poussiéreuse et sa blouse de l'après-midi.

��Après le dîner, Daniel, dans le jardin crissant où, sous les marronniers, la chaleur du jour demeurait stagnante, répondait à une pensée intérieure : « Pourquoi la salir ?... » Plus tard il alluma une cigarette et ne sut pas que de la terrasse, la jeune fille regardait luire brièvement ses deux mains enserrant l'allumette. A cet instant, il se répé- tait : « Pourquoi la salir ? Que vais-je imaginer ? Si Raymond m'entendait, il se tordrait. Il dirait : Qu'est-ce que ça veut dire sale ? Il n'y a que des gestes. Un geste en vaut un autre... Cette petite, que désiré-je en elle ? Après des heures de plaisir, son corps serait-il autre que ce qu'il est, vierge ? Je chéris en elle un mirage. Qu'est-ce que la pureté ? »

Les feuilles épaisses au-dessus de lui se froissèrent ; la campagne ruisselait d'eaux vives sous un ciel sans lune, fourmillant et traversé d'une piste lactée, d'un gave blême d'astres, et ce ruissellement indéfini sur la terre et dans

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